Dans un monde où l’Afrique exporte trop souvent ses richesses à l’état brut, à bas prix, la Côte d’Ivoire vient de briser ce cycle avec audace.
L’inauguration d’une usine de transformation du cacao de 130 milliards FCFA (environ 233 millions de dollars) à Abidjan n’est pas qu’un projet industriel. C’est une déclaration d’indépendance économique. La Côte d’Ivoire ne veut plus être le grenier de matières premières du monde, mais un acteur de poids dans la chaîne de valeur mondiale du chocolat.
La face amère du chocolat mondial
La Côte d’Ivoire produit près de la moitié du cacao mondial, mais elle ne capte qu’une infime part des profits d’une industrie du chocolat qui pèse plus de 130 milliards de dollars.
Les multinationales – majoritairement européennes ou nord-américaines – achètent les fèves à bas prix, les transforment à l’étranger, puis vendent les produits finis (beurre, pâte, chocolat) à des prix exorbitants. Pendant ce temps, des millions de petits producteurs ivoiriens vivent avec moins de 2 dollars par jour.
Ce modèle est injuste, insoutenable. Mais aujourd’hui, la Côte d’Ivoire répond – avec du béton, de l’acier, et une vision.
Une usine, un cap, un symbole
Sur 21 hectares dans la zone industrielle de PK24 à Abidjan, la nouvelle usine publique Transcao peut transformer 50 000 tonnes de fèves de cacao par an, avec l’ambition de dépasser les 210 000 tonnes d’ici 2027.
Ce n’est pas qu’une question de chiffres. C’est une étape vers la souveraineté industrielle. L’usine comprend :
Un centre de formation pour les jeunes techniciens et ingénieurs ivoiriens ;
Un entrepôt de stockage de 160 000 tonnes ;
Et une orientation claire : transformer localement au moins 50 % du cacao ivoirien d’ici 2030.
C’est la preuve que l’État ivoirien veut aller au-delà des mots et poser les bases d’une économie de transformation.
Un tournant stratégique pour l’Afrique
Avec l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), la Côte d’Ivoire peut désormais viser un marché régional en pleine croissance. Elle peut devenir le fournisseur continental de produits semi-finis à base de cacao : beurre, poudre, pâte. Fini le cacao brut, bonjour les marchés africains du chocolat, des cosmétiques, ou des boissons.
C’est une politique industrielle intelligente, qui combine emploi local, montée en gamme et coopération sud-sud.
Des défis à surmonter
Mais l’ambition ne suffit pas.
D’abord, la concurrence est féroce. Le Ghana accélère lui aussi la transformation locale. L’Indonésie investit massivement dans l’agro-industrie.
Ensuite, les normes européennes sur la traçabilité, la déforestation et le travail des enfants se durcissent. Cela exige des efforts de conformité et de transparence.
Enfin, la gestion publique reste un risque. Pour que Transcao réussisse, elle devra être dirigée de manière professionnelle, efficace, et transparente, loin des lourdeurs bureaucratiques.
Une inspiration pour toute l’Afrique
Cette usine n’est pas seulement une infrastructure. C’est un modèle économique pour d’autres pays africains. Le Nigeria avec l’anacarde, l’Éthiopie avec le café, le Burkina Faso avec le coton — tous peuvent s’en inspirer : transformer chez soi, enrichir chez soi.
Car exporter des fèves, c’est exporter des emplois. Exporter du cacao transformé, c’est exporter de la puissance.
Avec ce projet, la Côte d’Ivoire trace une nouvelle voie : celle d’une Afrique qui maîtrise ses chaînes de valeur, qui forme sa jeunesse, et qui capitalise sur ses ressources pour créer une prospérité durable.
Le monde observe. Et cette fois, peut-être que l’Afrique récoltera une part plus douce du fruit de son labeur.

